La surdicécité : un handicap méconnu

Echange en Tadoma à la Perkins School for The Blind

Qu’est-ce que la surdicécité ? Comment survient-elle ? Comment communiquer quand la vue et l’ouïe font défaut ? Elle est définie comme un handicap unique et spécifique qui affecte principalement la communication, la socialisation, la mobilité et la vie quotidienne. Dans cet article nous vous proposons de découvrir ce handicap rare, complexe et méconnu, résultat de la perte ou réduction combinée de la vision et de l’ouïe. 

La qualité de vie des personnes sourdaveugles est grandement influencée par la communication et les relations avec les membres de la famille et les amis, l’accès à des ressources adéquates en matière d’éducation, d’activité et de vie sociale.

Un handicap sensoriel multiforme

La plupart des personnes sourdaveugles ont un certain degré de vision et/ou d’audition. Seule une minorité d’entre elles sont complètement sourdes et aveugles. Les autres peuvent présenter les combinaisons suivantes : sourde et malvoyante, malentendante et aveugle, malentendante et malvoyante. Ces personnes peuvent donc, le cas échéant, porter des aides optiques et/ou auditives pour optimiser leur reliquat visuel et/ou auditif. 

Les causes de la surdicécité sont multiples. De nos jours, la cause principale est la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) associée à la presbyacousie (perte progressive de l’audition liée à l’âge). La deuxième cause la plus citée est le syndrome d’Usher, maladie dégénérative d’origine génétique, caractérisée par une surdité congénitale et une rétinite pigmentaire conduisant à la cécité. Parmi les causes fréquentes, il faut encore mentionner le syndrome CHARGE, un syndrome d’anomalies congénitales multiples, et la rubéole congénitale. Celle-ci est toutefois en recul grâce à la vaccination. 

Les implications et l’impact de la surdicécité varient très fortement selon le stade de développement de la personne au moment où le handicap survient.

  1. Surdicécité congénitale

    Il est question de surdicécité congénitale lorsque l’enfant naît sourdaveugle ou le devient avant d’avoir acquis les bases du langage. Le handicap combiné des sens de la vue et de l’ouïe est particulièrement préjudiciable à un stade aussi précoce du développement de l’individu. Les obstacles à la prise en charge pédagogique sont très importants, d’autant que le handicap sensoriel peut, comme dans le cas du syndrome CHARGE, être accompagné d’autres types de déficiences : anomalies cardiaques, troubles de l’équilibre, etc.

  2. Personnes nées sourdes ou malentendantes et qui perdent la vue.

    Ces personnes ont grandi en tant que personnes sourdes ou malentendantes et ont développé des moyens de communication essentiellement visuels, comme la langue des signes, la lecture labiale (lecture sur les lèvres) ou le LPC (Langue Parlée Complétée, méthode qui optimise la lecture labiale). La perte du sens de la vue les oblige à acquérir de nouveaux modes de communication et à se reconstruire pour retrouver leur autonomie dans les déplacements et la vie quotidienne.

  3. Personnes nées aveugles ou malvoyantes et qui perdent l’ouïe.

    Cette situation est plus rare que les précédentes. Généralement, ces personnes n’ont pas de difficultés à s’exprimer car elles maîtrisent la langue parlée et ont accès à l’information écrite grâce au braille ou à l’agrandissement des caractères. La perte du sens de l’ouïe les rend toutefois incapables de percevoir normalement la parole de leurs interlocuteurs. D’où le recours à des aides auditives (systèmes d’amplification) ou à des procédés de perception tactile de la voix (méthode « Tadoma », cf. ci-dessous). Si la surdité est trop profonde, le braille devient souvent le principal outil pour la conversation, notamment via la barrette braille ou des appareils comme le Tellatouch, qui permettent à la personne sourdaveugle de lire en braille le message produit par l’interlocuteur à partir du clavier standard de l’appareil.
    Le Tellatouch permet à la personne sourdaveugle de lire le braille tapé par son interlocuteur.

  4. Personnes qui deviennent sourdaveugles tardivement.

    Cette catégorie est largement majoritaire puisque, selon les estimations, elle représente la moitié des cas de surdicécité. Leur nombre pourrait même être sous-estimé car il s’agit bien souvent de personnes âgées dont les déficiences sensorielles sont mises sur le compte de la vieillesse. Elles ne sont par conséquent ni diagnostiquées, ni prises en charge de manière spécifique. Or la surdicécité a un impact négatif considérable sur leur communication, leur bien-être et le risque d’isolement social.

Modes de communication.

Helen Keller et Ann Sullivan conversant en Tadoma

L’exemple resté célèbre de Helen Keller a montré que les personnes sourdaveugles ne sont pas condamnées à l’isolement. Cette jeune Américaine née en 1880, devenue sourdaveugle à l’âge de dix-neuf mois, a pu apprendre à lire, écrire et parler grâce aux efforts opiniâtres d’une éducatrice malvoyante, Ann Sullivan. Helen Keller a décroché un diplôme universitaire et est devenue une écrivaine, conférencière et militante socialiste et féministe connue dans le monde entier. 

Il n’y a pas de méthode prédominante qui revendiquerait le titre de « langue des sourdaveugles », mais plutôt une combinaison de modes de communication en fonction des possibilités et de la situation de chaque individu. Le cas échéant, le reste de capacité visuelle et/ou auditive est mis à profit. La langue parlée et le texte en grands caractères sont les modes de communication les plus fréquents.

Il existe différentes méthodes spécifiquement adaptées pour les personnes sourdaveugles. Les plus répandues sont :

  • Lorm : les mots sont épelés en traçant sur les doigts et dans la paume de la main des points ou des traits qui représentent les lettres de l’alphabet.
     
  • Tadoma : la personne sourdaveugle pose les mains sur le visage de son interlocuteur pour capter ses paroles à travers les vibrations des cordes vocales, le mouvement des lèvres et les variations du souffle.
    Echange en Tadoma à la Perkins School for The Blind
  • Langue des signes tactile : la personne sourdaveugle pose les mains sur celles de son interlocuteur qui « signe ». Cette méthode est réservée aux personnes sourdes qui ont acquis la langue des signes avant de perdre la vue.
    Une personne touche les mains d’une autre en train de parler la langue des signes.
  • Communication Haptique : elle se pratique en touchant certaines parties du corps de la personne sourdaveugle, afin de transmettre des informations non verbales sur l’environnement, les personnes, les mimiques, l’intonation de la voix, ... Cette méthode est utilisée en complément d’un autre moyen de communication.

La surdicécité en Belgique.

La surdicécité est encore mal connue en Belgique. À défaut de statistiques officielles, il faut se référer aux chiffres de prévalence donnés pour d’autres pays. Or ceux-ci sont eux-mêmes très fluctuants, en raison des différences dans la manière de définir le handicap et dans la méthodologie suivie pour le recensement. Selon les données fournies par le CRESAM (Centre national de REssources pour Enfants et Adultes Sourdaveugles et Sourds Malvoyants) en France, le nombre de personnes sourdaveugles par rapport à la population générale se situerait, selon les pays, entre 4,5 et 11 pour 100 000. En appliquant ces chiffres à la population belge, il y aurait dans notre pays entre 504 et 1 132 personnes atteintes de surdicécité. Toujours selon le CRESAM, dans l’estimation la plus élevée, la moitié serait des personnes âgées, pour la plupart devenues sourdaveugles tardivement. L’autre moitié se répartirait comme suit : 35 % de personnes devenues sourdaveugles et 15 % de personnes sourdaveugles de naissance.

Malgré l’imprécision des statistiques, il faut retenir que le double handicap sensoriel concerne en majorité les personnes de plus de 65 ans. Avec le vieillissement de la population, la surdicécité est donc de plus en plus répandue.

Un handicap non reconnu.

En Belgique, la surdicécité n’est pas reconnue comme handicap spécifique. Il n’y a donc ni prise en charge ni encadrement pédagogique adapté. Les enfants et adolescents sourdaveugles sont orientés vers l’enseignement de type 6 destiné aux jeunes aveugles ou malvoyants, ou l’enseignement de type 7 pour jeunes sourds ou malentendants. Certains se retrouvent même dans des établissements de type 1 et 2, pour jeunes présentant un retard mental léger ou profond. Ces solutions inadéquates compromettent la bonne conduite de leur formation, en l’absence de stimulations adaptées.

Pourtant, le Parlement européen a adopté en 2004 une « Déclaration sur les droits des personnes sourdes-aveugles », qui reconnaît la surdicécité comme handicap à part entière et invite les institutions européennes et les États membres à reconnaître et appliquer les droits des personnes sourdaveugles. Cette déclaration n’a jamais été ratifiée par la Belgique.

Notre pays a pourtant ratifié en 2009 la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, qui stipule notamment que les États signataires doivent veiller « à ce que les personnes aveugles, sourdes ou sourdes et aveugles – et en particulier les enfants – reçoivent un enseignement dispensé dans la langue et par le biais des modes et moyens de communication qui conviennent le mieux à chacun, et ce, dans des environnements qui optimisent le progrès scolaire et la sociabilisation ».

Une telle reconnaissance serait une étape certes symbolique, mais décisive pour ouvrir la réflexion sur une prise en charge appropriée de la surdicécité en Belgique et enfin sortir de l’ombre ce handicap méconnu.

Références

  • Batis, Najoua (30 mai 2013), « Qu'est-ce que la surdicécité ? », Analyse ASPH (Association socialiste de la personne handicapée), Bruxelles, ASPH.
  • Idem (20 juin 2013), « Le besoin de reconnaissance de la surdicécité en Belgique », Analyse ASPH (Association socialiste de la personne handicapée), Bruxelles, ASPH.
  • Bernard, Serge (2013), « Surdicécité et citoyenneté », dans Vie sociale, n° 3, p. 135-147.
  • Devalet, Marie-Florence (2013),« Comprendre la surdicécité : quelques pistes », dans Sournal. Journal de la FFSB, n° 118, p. 4-9.
  • Souriau, Jacques (1993), « Les sourds-aveugles », dans Réadaptation, n° 403, p. 22-24.
  • Souriau, Jacques (2001), « La surdi-cécité », dans Manuel de psychologie des handicaps, s. dir. Jean Adolphe Rondal et Annick Comblain, Sprimont, Mardaga, p. 389-417.
  • Spring, Stefan, Adler, Judith et Wohlgensinger, Corinne (2011), Surdicécité : regardons les choses en face. Une publication sur l'étude : « Zur Lebenslage hörsehbehinderter und taubblinder Menschen in unterschiedlichen Lebensabschnitten in der Schweiz », St-Gall, Union centrale suisse pour le bien des aveugles (UCBA).
  • CRESAM (2014), Surdicécité : identité, diversité, créativité. Actes du colloque, Toulouse 30 & 31 janvier 2014, Saint-Benoît, CRESAM / Centre national de ressources handicap rare surdicécité.
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