Saïd Gharbi, un performeur de talent
Il était présent le 14 mai dernier à la première Journée des familles pour initier tout jeune amateur à la danse contemporaine. Saïd Gharbi se présente comme un performeur en danse, théâtre, chorégraphie et nous raconte que c’est grâce à son handicap visuel qu’il est devenu artiste. Redécouvrez son portrait publié dans Canne Blanche numéro 2 cette année.
Comment êtes-vous entré en contact avec le milieu de la danse?
En 1993, j’avais 24 ans, Wim Vandekeybus, danseur, chorégraphe, cinéaste flamand connu internationalement, souhaitait faire un projet avec des personnes déficientes visuelles. Il faisait des appels dans différents lieux comme la Ligue Braille où je suivais une formation. La directrice de la formation m’en a parlé et les choses se sont enchaînées. Je ne pensais pas que ça allait devenir un engrenage positif. J’ai travaillé à plusieurs créations de Wim avec des danseurs voyants. Nous préparons pour les 35 ans de la Compagnie un spectacle présenté en juillet 2022.
Et bien d’autres événements ont eu lieu à côté ?
J’ai créé une compagnie, BGM, “Les Ballets du Grand Maghreb”. Il y a eu parmi les spectacles, “L’attente” au KVS, “Clair obscur” en co-production avec l’Espace Magh... La compagnie a évolué en “Ballet du Grand Miro” qui s’est dirigé vers des ateliers pour sensibiliser à la danse dans le noir ou à la cécité tout simplement. Des ateliers souvent inclusifs composés de voyants, malvoyants ou aveugles et personnes porteuses d’un autre handicap. J’ai aussi donné des ateliers à la Ligue Braille. Je me sens assez privilégié car j’ai appris ma formation sur le tas. La majorité des artistes doivent suivre des cours pendant de longues années.
Quel est votre rapport à la scène ?
Quand je suis seul sur scène, je me déplace beaucoup en fonction de l’environnement direct. C’est-à-dire le relief au sol, les sons environnants…
Quand je bouge avec d’autres danseurs, ça me simplifie la tâche puisqu’il y a contact avec d’autres et là je peux me référer ou me repérer par rapport à eux. A partir du moment où c’est un duo ou un trio, il n’y a plus de raison de s’inquiéter puisque je me laisse entraîner par le mouvement de la chorégraphie et donc là je suis beaucoup plus en sécurité. Il est vrai que le risque zéro n’existe jamais quand on ne voit pas mais on essaye par tous les moyens de mettre le maximum de sécurité de son côté.
Quelle est l’origine de votre cécité?
C’est pigmentaire et héréditaire. Il y a plusieurs membres de ma famille qui sont aveugles. On perd la vue peu à peu. J’ai été bien encadré car dès mes 10 ans, mes parents m’ont mis dans une école spécialisée où j’ai appris ce que l’on doit savoir quand on est malvoyant comme l’écriture braille. J’ai commencé à utiliser la canne blanche vers 14 ans même si je voyais encore des ombres. Le passage n’a pas été trop brutal car je me disais qu’il valait mieux être malvoyant à cet âge-là plutôt qu’à 35 ans quand on est peut-être déjà en situation familiale et professionnelle et que l’on doit tout changer. Ma difficulté avec la cécité est arrivée plus tard dans ma vie professionnelle, à force de vouloir faire comme les voyants. Parfois, je trouvais gênant de montrer ma canne. Quel temps gâché à vouloir me cacher!
Ce temps fait-il partie du passé?
Oui. J’ai depuis 2006 un chien guide à mes côtés et je suis plus serein, je crois que ça a été ma période la plus changeante. A présent j’assume, je me sens mieux et les autres aussi, je l’aperçois dans leur façon de m’aborder dans la vie de tous les jours. Avant, je voulais faire comme les voyants et aujourd’hui je le fais mais en restant moi-même. Je ne vois pas mais je rencontre des gens, je leur parle. On peut faire tomber certains tabous liés à la cécité. On ouvre des portes.