Ophtalmologues : ouvrir les yeux sur l’après-diagnostic
Lorsqu’une personne fait appel à la Ligue Braille pour la première fois, c’est souvent après un parcours long et douloureux. Ayant un problème visuel grave, elle s’est retrouvée un jour face à un ophtalmologue qui lui a déclaré : « Votre pathologie visuelle évolue de manière irréversible, il n’y a pas ou plus de traitement possible, je suis désolé, je ne peux plus rien pour vous »... point. Et la personne de rentrer chez elle, dans une grande détresse, ne sachant comment envisager l’avenir.
À ce stade là, ces personnes sont souvent malvoyantes, mais pas encore aveugles. Comme tout le monde, elles ont entendu parler de la Ligue Braille, mais elles pensent que notre association, « c’est pour les aveugles », donc pas encore pour elles... Or la Ligue Braille aide aussi les personnes malvoyantes et celles-ci ont tout intérêt à recourir à nos services sans attendre.
Certains apprentissages sont en effet plus faciles lorsqu’on a encore un peu de vision. Et puis, il y a la fameuse limite des 65 ans au-delà desquels, si la personne n’est pas inscrite auprès d’un fond d’aide aux personnes handicapées, elle n’aura pas droit aux interventions pour l’acquisition d’aides techniques (vidéo-loupe, canne blanche, chien-guide,...) ou pour certains apprentissages (cours de locomotion,...).
Bref, si la médecine ne peut plus rien pour la personne, sa vie ne s’arrête pas pour autant. Mais il est vrai que son handicap visuel nécessite de se réorganiser, de tout réapprendre autrement, ce qui demande bien souvent d’être aidé. Des asbl comme la Ligue Braille sont là pour ça et nous proposons un accompagnement et de nombreux services gratuits aux personnes qui deviennent malvoyantes ou aveugles.
Workshop pour les ophtalmologues.
Annoncer à un patient que sa malvoyance ou sa cécité est irréversible n’est pas simple. Dans les facultés de médecine, depuis peu, les étudiants sont formés à cette annonce de mauvaises nouvelles. Pouvoir donner cette information avec un maximum de psychologie est un progrès, fournir au patient des informations qui lui offrent des perspectives d’avenir est encore mieux. C’est à cet objectif que répond le workshop que la Ligue Braille organise une fois par an pour les ophtalmologues, afin qu’ils disposent d’informations utiles pour pouvoir orienter leur patient vers les services qui l’aideront à (re)conquérir son autonomie. Le dernier workshop a réuni une vingtaine d’ophtalmologues en octobre 2015, sous la présidence du Professeur Jean-Jacques De Laey.
Durant une matinée, les collaborateurs de la Ligue Braille ont présenté aux ophtalmologues les avantages légaux et aides financières auxquels les personnes handicapées visuelles ont droit, l’aide apportée pour pouvoir rester autonome dans la vie quotidienne, l’accompagnement proposé pour pouvoir poursuivre sa vie professionnelle, les loisirs adaptés, les formations aux nouvelles technologies, …
Ils ont attiré l’attention des ophtalmologues sur l’importance de compléter lisiblement et de manière complète le certificat médical d’examen oculaire. Celui-ci est en effet la clé qui ouvre de nombreux droits, avantages et services. Ils ont également insisté sur le problème de la limite d’âge de 65 ans au-delà de laquelle certaines interventions publiques ne sont plus octroyées, d’où l’importance d’orienter un patient de 62, 63 ou 64 vers les services de la Ligue Braille pour faire valoir ses droits quand il est encore temps.
Des témoignages convaincants.
Avec beaucoup de courage, de détermination et de conviction, des personnes malvoyantes et aveugles sont venues témoigner de leur expérience.
- Nadia, devenue aveugle, a commencé par suivre les cours de locomotion à la Ligue Braille pour pouvoir utiliser une canne blanche. Elle a ensuite appris le braille, puis la dactylo. Elle a demandé un chien-guide que la Ligue Braille a dressé pour elle et qui ne la quitte plus aujourd’hui, « Il travaille super bien ! », commente-t-elle. Afin de pouvoir se débrouiller pour ses repas, elle a suivi les cours de cuisine organisés dans l’antenne régionale de Louvain. Une collaboratrice de la Ligue Braille est venue chez elle pour lui apprendre à gérer ses papiers avec son handicap visuel. Tout cela l’a beaucoup aidée.
- Pascale est confrontée à une dégénérescence maculaire détectée il y a 7 ans. Les ophtalmologues, à l’époque, ne l’ont pas orientée vers la Ligue Braille, qu’elle a découvert par le bouche à oreille. Elle n’a pas voulu faire tout de suite appel à notre association, car dans son esprit elle était réservée aux personnes aveugles, ce qui n’était pas son cas. Une ophtalmologue l’a finalement orientée vers le centre Horus où elle a rencontré l’équipe multidisciplinaire, dont font partie des collaborateurs de la Ligue Braille. Alice a procédé au marquage de ses appareils, Marc l’a aidée à conserver son emploi grâce au recours à des aides techniques, elle suit actuellement des cours de dactylo et a introduit une demande d’aide pour acquérir un ordinateur adapté. Comme elle a déjà fait deux chutes dans les transports en commun en raison de sa déficience visuelle, elle va suivre un cours de psychomotricité pour apprendre à tomber sans se faire mal. « Avant mon problème visuel, explique-t-elle, je n’imaginais absolument pas tout ce qui existe et qui m’aide tellement. Merci, merci ! Et aux ophtalmologues, je demande : s’il vous plaît, orientez vos patients vers ces services ! ».
- Carlo a une rétinite pigmentaire qui s’est aggravée au point qu’il en a perdu son emploi car il commettait de plus en plus d’erreurs. Un service d’outplacement vers lequel son employeur l’avait orienté a déclaré forfait : « On ne peut rien pour vous ! ». Au VDAB, on lui a parlé de l’Expertise Centrum Visus & Werk de la Ligue Braille où il a été accueilli pour suivre tout d’abord une batterie de tests, puis des formations. Les technologies de l’information sont son dada et il lui fallait donc adapter sa façon de travailler à l’ordinateur, vu son problème visuel. Une formation suivie à la Ligue Braille lui a réappris son métier autrement, avec des logiciels adaptés, en utilisant les touches fonction et non plus la souris, etc.
- Monique a perdu la vue du jour au lendemain il y a 8 ans et en a été terriblement choquée. Elle ne savait pas quoi faire et n’avait jamais prêté attention aux associations pour personnes aveugles, n’étant pas concernée. Un jour un monsieur aveugle l’a appelée et lui a suggéré de prendre contact avec la Ligue Braille, ce qu’elle a fait. Lorsque l’assistante sociale lui a demandé ce qu’elle attendait de nous, elle a répondu « Je ne sais pas... ». Elles ont alors passé toute sa vie en revue. « Valérie m’a expliqué ce qui était possible, raconte-t-elle. Et je me suis lancée ! J’ai suivi des cours de locomotion pour me déplacer avec une canne blanche. Comme mon fils allait avoir un enfant et que je devais garder le bébé, j’ai eu des cours de puériculture adaptée, ça m’a beaucoup aidé pour m’occuper de ma petite-fille. J’ai suivi des cours de relooking, de dactylo, de braille. J’ai eu le plaisir de participer au voyage en Alsace, super bien organisé ! Je vais au Club Braille de Jambes où nous avons des activités de bricolage et des échanges avec d’autres personnes malvoyantes. »
- Pierre et Mohammed, tous deux gravement malvoyants, sont férus de nouvelles technologies. Démonstrations à l’appui, ils expliquent combien l’iPad et l’iPhone ont changé leur vie, que ce soit pour lire des livres audio ou en grands caractères, pour chercher des informations sur internet ou via les applications de plus en plus nombreuses qui sont adaptées aux personnes qui ont une déficience visuelle. Pour eux, ces outils améliorent vraiment leur autonomie. Et le Club numérique mis sur pied par la Ligue Braille est une belle initiative.
L’avis des ophtalmologues.
Les informations transmises lors du workshop ont fait découvrir aux ophtalmologues présents un monde dont ils ignoraient bien des aspects. « Je renvoie souvent mes patients vers des services de low vision ou un Centre de revalidation fonctionnelle (CRF), explique une participante, mais les listes d’attente sont longues... J’ignorais que je pouvais aussi les envoyer directement à la Ligue Braille ». Une de ses collègues poursuit: « C’est vrai, nous envoyons nos patients vers les CRF plutôt que vers les associations, car nous visionnons celles-ci davantage comme des groupes de self help. Or c’est une image inexacte ou du moins incomplète ».
Un autre ophtalmologue déclare que le workshop lui a ouvert les yeux sur l’importance de bien compléter le certificat médical d’examen oculaire : « Personne n’aime de remplir des papiers et on fait cela parfois un peu négligemment... Je ne m’étais jamais rendu compte des conséquences que ce document pouvait avoir sur le devenir du patient ». Des problèmes comme celui de la limite d’âge de 65 ans pour l’accès aux aides des fonds est également largement méconnu des ophtalmologues : « Je ne connaissais pas du tout ce problème, explique l’une d’elle. J’y serai désormais attentive et attirerai l’attention de mes patients s’ils approchent des 65 ans ! »
En conclusion, le commentaire d’une jeune ophtalmologue : « J’ai été très touchée par les témoins, on se rend bien compte de ce qu’ils vivent et ressentent. Pour nous, c’est un peu comme si on recevait une claque, car nous ne pensons qu’au médical, nous les connaissons médicalement mais pas personnellement. Nous sommes dans le déni, car leur déficience visuelle est pour nous un échec, nous ne voulons pas la voir. Mais découvrir ici toutes les possibilités qu’ils ont trouvées, cela donne de l’espoir ! ».