Trois fois plus de personnes aveugles et malvoyantes en 2050
En 2015, le monde comptait 253 millions de personnes déficientes visuelles, dont 36 millions de personnes aveugles et 217 millions de personnes malvoyantes. Ces chiffres devraient tripler d’ici 2050, en raison de la croissance démographique et du vieillissement de la population. C’est une des conclusions d’une vaste étude menée par une quinzaine de chercheurs internationaux et publiée en septembre 2017 dans la très sérieuse revue britannique « The Lancet Global Health ».
2050, c’est dans trente ans, à peine l’espace d’une génération, autant dire demain. Selon les projections calculées par les chercheurs, le nombre de personnes aveugles aura triplé pour atteindre le chiffre de 115 millions. Dans le même temps, le nombre de personnes malvoyantes (présentant une «déficience visuelle modérée à sévère») aura presque triplé en passant à 588 millions.
La méthode.
Le professeur Rupert A. Bourne (Université de Cambridge) et ses collègues ont analysé les données publiées entre 1990 et 2015, ce qui représente un total de 288 études portant sur 98 pays. À partir de là, ils ont appliqué un modèle mathématique pour prévoir l’évolution de ces données entre 2020 et 2050. Les chercheurs eux-même soulignent que les résultats doivent être relativisés, car la qualité et l’exhaustivité des données varient selon les zones géographiques. Par ailleurs, la définition des déficiences visuelles n’est pas la même d’un pays à l’autre.
Notion de prévalence
La prévalence d’une maladie ou d’une déficience, généralement exprimée en pourcentage, représente la proportion de personnes malades ou déficientes par rapport à la population globale. C’est une mesure de l’état de santé d’une population à un moment précis ou au cours d’une période donnée, pour une affection ou une déficience déterminée, prenant en compte aussi bien les cas nouveaux que les cas anciens. Tout comme un sondage d’opinion, elle constitue une photographie de la situation, qui ne vaut que pour l’instant étudié.
Qui sont les plus touchés ?
Comme on pouvait s’y attendre, les personnes âgées sont plus particulièrement concernées. En 2015, les plus de 50 ans représentent 86 % des personnes aveugles, 80 % de celles avec une déficience modérée à sévère, et 74 % de celles avec une déficience légère. Dans cette tranche d’âge, les taux de prévalence de cécité les plus élevés sont enregistrés dans des pays émergents, en Asie, mais aussi en Afrique subsaharienne et de l’Est. Dans ces régions du monde, 4 à 5 % des plus de 50 ans sont aveugles. C’est dix fois plus que dans les pays à hauts revenus. Cet écart important est observé pour toutes les déficiences visuelles, quel que soit leur niveau de gravité. Autre enseignement de l’étude : plus d’une personne déficiente visuelle sur deux (55 %) est une femme.
Les régions les plus touchées sont l’Asie du Sud, de l’Est et du Sud-Est. Là aussi, les écarts sont importants selon le niveau de vie de ces régions. Pour la cécité, par exemple, la prévalence globale va de 0,24 % en Australasie (Australie et Nouvelle-Zélande) à 0,70 % dans le Sud de l’Asie.
Quelles sont les causes principales de déficience visuelle?
En 2015, année la plus récente pour laquelle les chiffres sont disponibles, le top 3 des causes de cécité dans le monde étaient, en ordre décroissant : la cataracte non opérée, les défauts de réfraction non corrigés (voir encadré) et le glaucome. Pour la malvoyance, on retrouve en première position les défauts de réfraction non corrigés, ensuite la cataracte non opérée et la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Chez les adultes âgés de 50 ans et plus, les deux premières causes que nous venons de citer interviennent dans 55 % des cas de cécité et 77 % des cas de malvoyance. Le glaucome intervient dans 8,5 % des cas de cécité et la DMLA dans 4,4 % des cas de malvoyance. Il est frappant de constater que les deux causes principales, à l’origine de plus de 80 % de l’ensemble des déficiences visuelles, sont évitables ou curables.
L’impact de ces causes est évidemment lié à la difficulté, voire l’impossibilité d’accéder à des soins et à des corrections optiques de qualité dans les pays en développement. Dans les pays à hauts revenus comme le nôtre, ce sont principalement les maladies liées à l’âge avancé (DMLA, glaucome) qui sont à l’origine de la malvoyance ou de la cécité.
Les disparités géographiques sont importantes et significatives. La prévalence de la cécité due à la cataracte est de moins de 22 % dans les pays à hauts revenus, où l’opération de la cataracte est menée couramment et accessible à un grand nombre, tandis que cette prévalence grimpe à plus de 43 % dans l’Asie de l’Est et du Sud-Est, l’Océanie et la plupart des pays d’Afrique subsaharienne. La prévalence de la malvoyance due à un défaut de réfraction non corrigé est particulièrement élevée (66,4%) en Asie de l’Est. En résumé, environ 90 % des personnes déficientes visuelles vivent dans des pays en développement.
Défauts de réfraction non corrigés.
Les défauts de réfraction sont des troubles visuels très courants, comme la myopie, l’hypermétropie, l’astigmatisme ou la presbytie. Ils se manifestent lorsque l’oeil ne peut focaliser de façon nette les images, produisant une vision brouillée. Si ces défauts sont corrigés à temps et par des professionnels des soins ophtalmologiques, la vision peut être préservée. Mais en l’absence de traitement (verres correcteurs, lentilles de contact, chirurgie...), ou suite à un mauvais diagnostic, ils peuvent entraîner une déficience visuelle allant jusqu’à la cécité. En 2006 déjà, l’OMS estimait à 153 millions le nombre de personnes dans le monde vivant avec une déficience visuelle due à un défaut de réfraction non corrigé : 8 millions d’entre elles étaient aveugles, 145 millions malvoyantes. Ce chiffre de 153 millions n’incluait pas les personnes présentant une déficience grave de leur vision de près due à une presbytie non corrigée, que l’étude du professeur Bourne a permis d’évaluer à 1 milliard parmi les plus de 35 ans, dont 667 millions dans la catégorie des 50 ans et plus. Voilà pourquoi l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a fait de la lutte contre les défauts de réfraction non corrigé une de ses priorités dans le domaine de la santé visuelle.
Une bonne et une mauvaise nouvelle.
Commençons par la bonne : entre 1990 et 2015, le taux brut de prévalence de la cécité et de la malvoyance a baissé, respectivement de 0,75 % à 0,48 % et de 3,83 % à 2,90 %. Ces progrès peuvent être attribués à plusieurs facteurs : le développement socio-économique global, la mise en oeuvre de programmes ciblés de santé publique et un meilleur accès aux soins ophtalmologiques. Ainsi, la prévalence des maladies oculaires infectieuses, telles que le trachome 1 et l’onchocercose 2, a considérablement diminué ces 25 dernières années. Cependant – et c’est la mauvaise nouvelle –, la croissance et le vieillissement de la population annulent les effets de cette évolution favorable, d’autant que, selon les chercheurs, la prévalence de la cécité et de la malvoyance pourrait cesser de diminuer et rebondir à partir de 2020 ! Une véritable épidémie est donc en vue. Ce bien sombre tableau est à peine atténué par le fait que ces projections ne tiennent pas compte des progrès éventuels qui pourraient survenir d’ici là en matière de diagnostic, de traitements ou d’accès aux services de santé.
Que faire ?
En 2013, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a lancé un « Plan d’action mondial 2014-2019 pour la santé oculaire universelle », baptisé « Universal Eye Health », avec pour objectif d’obtenir une baisse mesurable de 25 % du nombre de cas de déficience visuelle évitable d’ici à 2019. Les perspectives esquissées par le professeur Bourne et ses collègues révèlent un écart «substantiel» entre cet objectif et ce qui a été accompli jusqu’à présent, de sorte qu’il faut redoubler d’efforts au niveau mondial.
En ce qui concerne notre pays, les statistiques officielles font toujours défaut. L’étude de l’équipe du professeur Bourne donne toutefois des précisions intéressantes sur la prévalence des principales causes de déficience visuelle en Europe occidentale chez les personnes âgées de 50 ans et plus (tableaux 1 et 2). Ces chiffres montrent que la cataracte reste le premier facteur de cécité chez les seniors, suivie par la DMLA et, quasi ex-aequo, le glaucome et les défauts de réfraction non corrigés. Pour la malvoyance, les défauts de réfraction non corrigés sont à l’origine de près de 50 % des cas, ce qui est interpellant. Par contre, la prévalence de la cataracte et de la DMLA est en recul.
Tableau 1. - Causes de cécité chez les personnes âgées de 50 ans et plus en Europe occidentale, en 1990 et 2015.
Défaut de réfraction non corrigés | Cataracte | Glaucome | DMLA | Rétinopathie diabétique | Opacité de la cornée | Autres | |
1990 | 13,06 % | 24,85 % | 13,75 % | 19,16 % | 2,42 % | 3,34 % | 23,43 % |
2015 | 13,12 % | 21,42 % | 13,50 % | 15,39 % | 3,30 % | 2,43 % | 30,84 % |
Tableau 2. - Causes de malvoyance chez les personnes âgées de 50 ans et plus en Europe occidentale, en 1990 et 2015.
Défauts de réfraction non corrigés | Cataracte | Glaucome | DMLA | Rétinopathie diabétique | Opacité de la cornée | Autres | |
1990 | 49,34 % | 18,14 % | 3,59 % | 13,23 % | 2,45 % | 1,11 % | 12,15 % |
2015 | 49,61 % | 15,49 % | 3,58 % | 10,68 % | 3,48 % | 0,81 % | 16,35 % |
Quoi qu’il en soit, la Belgique est largement confrontée au phénomène du vieillissement de la population, qui va en s’amplifiant avec le passage des « baby-boomers » dans la catégorie des seniors. En témoigne l’évolution du nombre des bénéficiaires de la Ligue Braille (diagramme 1). La dernière décennie a vu une hausse impressionnante et constante de la catégorie des 65 ans et plus, alors que les catégories plus jeunes, aussi en progression, restent relativement stables.
Les prévisions tracées par l’équipe du professeur Bourne montrent que dans les prochaines années, la Ligue Braille devra sans doute faire face à une augmentation sensible du nombre de ses bénéficiaires et développer ses services en conséquence. Le travail de prévention doit aussi être intensifié, notamment pour faire reculer les causes évitables de la déficience visuelle. Et plus que jamais, la recherche scientifique en ophtalmologie doit être soutenue. Pour relever tous ces défis, la Ligue Braille compte sur la contribution de tous.