Cinq jeunes chercheurs récompensés par la Fondation pour les aveugles
Cette année, cinq chercheurs se sont vu remettre un prix de la Fondation pour les aveugles, pour un montant global de 60.000 euros. Les projets primés sont sélectionnés par un jury international qui évalue leur valeur scientifique, leur originalité, leur faisabilité et leur importance pour l’ophtalmologie.
La Fondation pour les aveugles, reconnue d’utilité publique, a été créée par la Ligue Braille voici un peu plus de 10 ans. Elle est conseillée par un Comité scientifique, dont sont membres les professeurs responsables des centres ophtalmologiques des différentes universités du pays, sous la présidence du professeur Jean-Jacques De Laey. Ce Comité conseille la Ligue Braille en matière d’information médicale ainsi que pour l’attribution des prix que la Fondation remet chaque année à de jeunes chercheurs. Soutenir la recherche scientifique dans le domaine de l’ophtalmologie est en effet une des missions de la Fondation pour les aveugles.
Complémentairement à la finalité première de la Ligue Braille qui est d’aider les personnes aveugles et malvoyantes, il nous paraît indispensable de soutenir les chercheurs dans leurs efforts pour mieux connaître les maladies visuelles, pour en améliorer la détection et les traitements.
Afin de soutenir la recherche, la Fondation pour les aveugles s’est associée au FRO (Fonds pour la recherche en ophtalmologie). Le FRO représente une initiative belge unique en Europe. Présidé par le professeur Marie-Josée Tassignon, le FRO vise à stimuler la recherche en ophtalmologie par l’octroi de bourses à de jeunes chercheurs qui, sans cette aide, n’auraient pas la possibilité de poursuivre leurs travaux. Les projets primés sont sélectionnés par un jury international qui évalue leur valeur scientifique, leur originalité, leur faisabilité et leur importance pour l’ophtalmologie. La remise des prix a lieu au cours du congrès Ophthalmologica Belgica qui, en novembre de chaque année, rassemble les ophtalmologues du pays. Cette année, ce sont cinq jeunes chercheurs qui se sont vu remettre un prix de la Fondation pour les aveugles, pour un montant global de 60.000 euros, récolté notamment auprès des lecteurs de la Canne Blanche que nous tenons à remercier ici. Ci-dessous les résumés de ces projets de recherche.
Nouvelles pistes de traitement intégré de la rétinopathie diabétique. Projet de Jurgen Sergeys (KUL).
On s’attend à ce que la prévalence du diabète sucré de type I et de type II passe de 415 millions en 2015 à 640 millions en 2040 étant donné le mode de vie occidental et le vieillissement de la population. En outre, des études mondiales décrivent qu’un patient diabétique sur 3 développe une rétinopathie diabétique (RD), une maladie chronique et progressive des yeux et l’une des principales causes de perte irréversible de la vision et de cécité dans la population en âge de travailler dans les pays développés. Le nombre de patients atteints de RD sera donc nettement plus élevé. Sur le plan clinique, la RD se caractérise par des anomalies vasculaires telles que des microanévrismes, des hémorragies, un oedème maculaire diabétique (OMD) et une néovascularisation. Tant le diagnostic que le traitement de la RD se focalisent sur ces altérations vasculaires de la partie postérieure de l’oeil. Malheureusement, les traitements disponibles sont insuffisants (en raison d’un diagnostic posé tardivement, de l’absence de réponse ou d’une faible réponse au traitement) ou provoquent éventuellement des effets secondaires. Il est donc urgent de disposer de nouveaux traitements. Les découvertes récentes montrent que la RD n’est pas seulement une maladie vasculaire, mais que cette pathologie a aussi les caractéristiques d’un processus inflammatoire neurodégénératif et fibrotique chronique. Toutefois, il existe encore des controverses au sujet de ces processus réciproques pendant l’apparition et la progression de la RD. Il est de la plus grande importance d’avoir de meilleures connaissances sur la pathogenèse multifactorielle de la RD de manière à pouvoir identifier de nouvelles cibles pour le développement de nouveaux traitements intégrés.
Une de ces classes cibles permettant une approche thérapeutique intégrée pourrait être celle des tyrosine kinases. Les kinases sont connues pour influencer plusieurs voies de signalisation qui sont habituellement à la base des éléments caractéristiques de la RD comme l’inflammation, la neurodégénérescence, la perméabilité vasculaire, la néovascularisation et la fibrose. Par conséquent, Jurgen Sergeys a effectué une analyse du kinome des tyrosine kinases sur des tissus rétiniens atteints et sains pour détecter des kinases activées de manière différentielle. Ces études ont identifié un «hub» spécifique de la voie de signalisation des kinases qui semble être un régulateur essentiel de toutes les voies pathologiques majeures impliquées dans la RD, mais son rôle dans l’apparition et la progression de la RD n’a pas encore été étudié.
Dans ce projet, le chercheur déterminera le mode d’expression/activation spatiotemporelle de ce hub de la voie de signalisation des kinases dans la rétine. Cela lui permettra d’identifier les moments importants d’hyperactivation du hub durant la progression de la maladie et donc de déterminer à quel moment des inhibiteurs peuvent être administrés. L’objectif général de ce projet est donc d’examiner l’effet de l’inhibition d’un hub de la voie de signalisation des kinases qui semble cliniquement très intéressant car il est prouvé qu’il s’agit d’un régulateur de tous les grands processus pathologiques typiques de la RD et qu’un inhibiteur a le potentiel pour être utilisé comme nouveau traitement intégré dans le traitement de la RD.
Explorer le rôle du gène ABCA4 dans la maladie de Stargardt. Projet de Miriam Bauwens (UGent).
Cette étude vise à identifier, interpréter et cibler les anomalies génétiques non codantes du gène ABCA4 dans la maladie de Stargardt, qui est la rétinopathie héréditaire la plus fréquente.
La maladie de Stargardt est une maladie autosomique récessive qui peut affecter la vision centrale dès l’enfance. Pour connaître l’anomalie génétique responsable de cette baisse de l’acuité visuelle causant une malvoyance profonde, les généticiens se focalisent généralement sur la partie du gène connu de la maladie, nommé ABCA4, qui code pour la protéine, ce qui conduit au diagnostic génétique chez 60 % des patients atteints de la maladie de Stargardt. Chez les autres patients atteints de cette maladie, une investigation plus poussée est toutefois nécessaire pour élucider ce que l’on appelle la « variation génétique cachée ».
Ici, Miriam Bauwens utilisera des techniques génétiques à la pointe du progrès pour trouver des anomalies dans la partie non codante du gène ABCA4, qui était auparavant considérée comme de l’ADN dit «poubelle». Miriam Bauwens et d’autres chercheurs ont en effet découvert qu’un nombre important d’anomalies génétiques dans les rétinopathies héréditaires telles que la maladie de Stargardt peuvent être trouvées dans les parties non codantes du génome humain. Cette étude conduira à une meilleure connaissance du rôle des «variations génétiques cachées» dans la maladie de Stargardt pour finalement développer de nouveaux traitements ciblant des anomalies génétiques non codantes du gène ABCA4.
Les exosomes comme nouvelle option thérapeutique pour la guérison des plaies de la cornée. Projet de Bert Van den Bogerd (UAntwerpen).
Selon une estimation de l’Organisation mondiale de la santé, 285 millions de personnes dans le monde ont une vision altérée, 39 millions d’entre elles souffrant de cécité complète. L’«opacification de la cornée» est un terme générique rassemblant différentes affections dans lesquelles la transparence est altérée. L’opacification de la cornée représente jusqu’à 5,1 % de tous les cas de cécité cornéenne dans le monde. Ses causes sont diverses : traumatisme, infection, maladie inflammatoire ou héréditaire.
La conséquence fréquente de ces pathologies est une cornée translucide ou opaque, qui affecte la vision et donne l’impression d’être dans le brouillard. La cécité cornéenne est la deuxième cause de cécité dans le monde et, bien qu’il soit possible de la traiter, des millions de personnes restent cependant aveugles par manque d’accès à un tissu de donneur transplantable. Les chercheurs tentent de trouver une solution à la situation actuelle en faisant pousser des cellules cornéennes en laboratoire pour créer, par génie tissulaire, des greffes imitant les greffes de tissus de donneurs préparées à partir de donneurs. Pour apporter ce type de traitement au patient, les cellules doivent être abondamment décrites au moyen de différentes expérimentations vérifiant si elles fonctionnent correctement. Une fois transplantées, les éventuelles complications de cette option thérapeutique sont la transformation des cellules dans le corps humain et le rejet complet de la greffe. Dans ce projet, Bert Van den Bogerd veut examiner une autre option de traitement qui n’implique pas la transplantation de cellules. L’objectif est d’isoler de petites vésicules, appelées exosomes, à partir de cellules souches isolées de la cornée. Ces exosomes sont responsables de la communication intercellulaire dans
l’organisme humain, et ils transportent le matériel génétique et les protéines qui pourraient favoriser le modelage tissulaire et la réparation des tissus. Il a déjà été montré que les exosomes favorisent la réparation tissulaire.
Le test que le chercheur effectuera vise à savoir si la présence d’exosomes dérivés de la cornée peut améliorer la capacité de cicatrisation des plaies des cellules cornéennes qui ont poussé au laboratoire. Cette stratégie thérapeutique sans transplantation de cellules aurait pour avantage que son transfert à la clinique serait plus sûr, plus court et moins complexe que dans le cas des thérapies cellulaires. Les exosomes, une fois transplantés, sont potentiellement moins susceptibles de provoquer une réponse immunitaire, et ils peuvent même être conservés au congélateur, de sorte qu’ils pourraient être développés comme un produit de série. En outre, si ce processus de production est élargi par l’utilisation de cellules immortalisées, les coûts de ce traitement pourraient également diminuer.
Évaluation de la dégradation de la barrière hématorétinienne dans les uvéites non infectieuses. Projet de Vincent Foucard (ULB - CHU Saint-Pierre).
L’uvéite est une inflammation des tissus intraoculaires. C’est la cinquième cause de cécité dans le monde et elle touche principalement les jeunes adultes. En outre, elle a un impact socioéconomique important du fait du coût des traitements. Son origine est infectieuse surtout dans les pays en développement, et elle est plus souvent non infectieuse dans nos pays. Aujourd’hui, on ne dispose que de traitements peu spécifiques contre l’uvéite non infectieuse (corticoïdes et immunosuppresseurs), et leurs effets secondaires sont nombreux. Dans les conditions normales, l’oeil est protégé par une barrière, constituée de cellules endothéliales, qui isole l’oeil du reste du corps. L’altération de cette barrière permet l’entrée de cellules inflammatoires dans l’oeil, ce qui est un élément essentiel dans l’induction de l’uvéite.
En général, toute inflammation dans l’organisme est gouvernée par des changements dans l’expression des gènes. Actuellement, il est possible d’étudier l’ensemble de l’expression des gènes d’une cellule au moyen de nouvelles techniques qui permettent ce qu’on appelle le séquençage de l’ARN.
Dans le projet de Vincent Foucart, il appliquera cette nouvelle technique aux cellules endothéliales qui forment la barrière entre l’oeil et le reste du corps. Avec ce travail, il espère améliorer les connaissances concernant les mécanismes initiateurs qui conduisent à l’uvéite. Cela pourrait faciliter de nouveaux traitements ciblés, qui seraient plus sûrs et plus spécifiques dans les cas d’uvéite non infectieuse.
La neuro-inflammation pour reconstruire les circuits neurologiques : découverte des acteurs moléculaires sous-jacents. Projet d’Ilse Bollaerts (KUL).
Les lésions cérébrales et les troubles neurodégénératifs, tels que la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, la sclérose en plaques et le glaucome, affectent un nombre croissant de personnes dans notre société vieillissante. Les traumatismes neurologiques et la destruction des neurones réduisent fortement la qualité de vie et entraînent des handicaps lourds, le plus souvent en raison du fait que, chez les adultes, les capacités du système nerveux central (SNC) à remplacer ou réparer les neurones perdus sont limitées. L’un des mécanismes qui a récemment été mis en avant en tant qu’acteur important dans la réponse régénérative, est la neuro-inflammation, et plus précisément le système immunitaire inné. La neuro-inflammation, habituellement considérée comme défavorable à la guérison, est actuellement de plus en plus largement reconnue comme pouvant provoquer une réponse régénérative, à condition qu’elle soit correctement orchestrée. Cependant, malgré d’intenses efforts de recherche, la récupération complète des capacités fonctionnelles après lésion du SNC reste un défi.
Dans ce projet, Ilse Bollaerts propose d’utiliser le système visuel, et plus particulièrement la rétine et le nerf optique, comme modèle pour découvrir les molécules inflammatoires et les voies qui pourraient contribuer à la régénération du SNC. Faisant intégralement partie du SNC, ce système présente des similarités anatomiques et fonctionnelles avec le reste du cerveau et de la moelle épinière. Par conséquent, outre leur pertinence directe pour les maladies neurodégénératives affectant l’oeil ou le nerf optique (comme le glaucome), les connaissances acquises au cours de ces études pourraient également s’appliquer aux autres maladies du SNC. Dans ce projet, Ilse Bollaerts propose une étude détaillée du schéma d’activation de la microglie et des macrophages dérivés des monocytes – les principaux orchestrateurs de la neuro-inflammation – après lésion du nerf optique. En outre, elle veut identifier les molécules inflammatoires et les voies qui sous-tendent la réussite de la régénération, et qui pourraient être utilisées comme cibles thérapeutiques futures pour promouvoir la réparation après une lésion ou une maladie neurodégénérative au niveau du SNC.